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Mille ans d’histoire

Histoire de la Syrie (Bilād al-Chām)

de la conquête grecque à la conquête arabo-musulmane

(333 av. J.-C. – 635 apr. J.-C.)

 

Samir Anhoury

 

Chapitre V

La Syrie arabo-musulmane

 

Les Syriens avaient toujours été en relation avec les Arabes. Le passage des nomades à l'état sédentaire et leur assimilation par les indigènes est l'un des traits caractéristiques de l'Histoire de Syrie.

"Le pays était soumis à une double fluctuation : d'un côté émigration par mer des gens de la montagne et de la côte, de l'autre immigration des nomades de race Arabe"  Dassaud : "Les Arabes en Syrie avant l'Islam".

Dans les périodes d'anarchie, leur pouvoir grandissait et les plus audacieux de leurs chefs établissaient leur domination sur les villes proches du désert. Homs et Damas avaient été gouvernées par des Arabes quand les derniers Séleucides avaient été incapables de se faire respecter.

L'Administration romaine encouragea le mouvement de sédentarisation des nomades, attribuant même aux tribus arabes des territoires frontaliers afin de les fixer davantage au sol. Les bédouins installés aux confins de la Syrie furent bientôt en tel nombre que Trajan put nommer "province d'Arabie" les territoires à l'est du Jourdain.

L'ordre que les fonctionnaires de l'empire faisaient régner dans les pays agricoles, et la paix qu'ils imposaient aux tribus du désert, dont certaines s'étaient converties au Christianisme, incitaient les nomades à se fixer.

Deux royaumes Arabes se formèrent ainsi au début de notre ère : Le royaume de Hira sur la rive droite de l'Euphrate et celui de Ghassan à l'est du massif montagneux du Hauran, ce dernier lié directement à l'histoire de la Syrie. En effet, les Ghassanides vinrent de l'Arabie méridionale et s'établirent sur les pentes orientales du massif volcanique. Ils reconnurent la suprématie de Rome et lui servirent d'auxiliaires.

De l'autre côté du désert, dans la région de Koufa (Iraq) les Lakhmides régnaient sur Hira et s'étaient mis au service des Perses. Ils prétendaient commander à tous les nomades et poussaient leurs razzias jusqu'à l'intérieur de la Syrie.

Les gouverneurs romains et byzantins leur opposèrent les Ghassanides. Sous le règne de Justinien, Al-Harith, leur prince, se fit remarquer  par son loyalisme envers Byzance lors de la révolte des Samaritains (529). Il était déjà Phylarque de Palestine.

D'autre part, le Basileus qui consacrait toutes ses forces à étendre sa domination vers l'Ouest, eut recours à Al-Harith pour défendre les provinces de Syrie et d'Asie Mineure contre Chosroé. Il joignit ses forces à celles de Bélisaire [26] pour lutter contre les Perses. Toutefois l'occupation constante des Ghassanides était la guerre contre les Lakhmides. Au cours de ces luttes, ils prirent la défense de Palmyre contre le royaume de Hira.

Ces populations arabes établies aux confins de la Syrie avant l'Islam ont laissé dans le "Léja" et à l'est de la Mer morte les traces d'une civilisation avancée où se révèlent à la fois l'influence de Rome et celle de la Perse. La tendance des Arabes à pénétrer chez les sédentaires et à délaisser la vie nomade dès qu'ils entrent dans les régions propices à l'agriculture, ainsi que la désaffection des populations d'Orient pour l'empire byzantin, préparaient l'invasion musulmane du VIIe siècle, dont les forces commandées par Yazid ibn Abi-Soufian, membre de l'aristocratie Koraïchite et appartenant à la famille des Omayades, envahirent la Palestine et battirent les troupes que Sergius avait rassemblés en hâte (634).

C'était la première armée musulmane qui entrait en Syrie. La conquête arabe commençait. Elle se présente tantôt sous l'aspect de guerres religieuses, tantôt sous la forme de luttes destinées à satisfaire l'ambition de ses chefs. En un siècle, ces arabes, superbes guerriers venus du désert, vont créer un vaste empire qui s'étendra de l'Indus à la Garonne.

La bataille du Yarmouk en 636, où la cavalerie arabe enfonça les lignes de l'infanterie byzantine décida du sort de la Syrie : elle avait cessé d'être une province byzantine. La détresse de l'empire avait empêché Héraclius 1er de faire l'effort suffisant pour défendre les frontières de son état. La haine que les Syriens gardaient contre Constantinople avait désarmé la population et l'avait souvent rendue complice des envahisseurs.

Le calife Omar, qui avait receuilli le califat à la mort d'Abou-Bakr
(1er calife), vint dans les pays conquis et se rendit à Jérusalem. Il confia à Mouawiya de la famille des Omayades le gouvernement du pays. Celui-ci prit Damas, conquise en 635 simultanément par les généraux Khaled et Abou Obeïda, comme siège de son gouvernement. Plus tard à la mort d'Ali (quatrième calife, cousin et gendre du Prophète Mohammed), Mouawiya se rendit en grande pompe à Jérusalem (660) et s'y fit proclamer calife, puis il retourna à Damas qu'il choisit comme capitale. Il refusa de résider à Médine ou à la Mecque, rompant ainsi avec les traditions de ses prédécesseurs. Damas devint le centre de l'empire Arabe et commanda durant un siècle à tout le monde musulman.

Mouawiya, qui avait substituer le principe héréditaire dans la transmission du pouvoir au principe électif, mourut le 18 Avril 680. Homme d'état remarquable, fin diplomate et homme cultivé, son nom était respecté par ses sujets aussi bien musulmans que chrétiens. Il s'était concilié les chefs locaux et avait flatté l'orgueil des Ghassanides par son mariage avec l'une de leurs filles. Il avait toujours témoigné aux chrétiens une large tolérance et une grande bienveillance.

Les Omayades installés à Damas, tout proches qu'ils étaient encore de leurs origines bédouines, ne furent pas insensibles à la civilisation byzantine qui survivait nécessairement dans leurs nouveaux domaines. Durant presque tout le siècle que dura leur histoire, la langue arabe n'était pas jugée suffisamment adaptée aux besoins de l'administration, si bien que les vainqueurs durent faire appel à des scribes chrétiens qui utilisaient le Grec, le Persan ou le Syriaque pour la tenue des divers registres.

Même quand l'arabisation de l'administration fut décidée par le Calife Abdel-Malek ibn Marwan (685-705) les mêmes fonctionnaires restèrent en place et jouèrent souvent des rôles importants au sein du gouvernement et à la cour des califes.

Au moment ou les Omayades, pourtant si attachés à leurs coutumes bédouines s'établissent en Syrie, ils sont impressionnés par les vestiges grandioses de l'Antiquité. Ils sont conscients de la nécessité de doter l'Islam d'un art digne de sa puissance et, en dépit de leur apparente simplicité, ils ne sont pas indifférents au luxe qu'ils découvrent dans les pays conquis. Ils vont donc créer un art "Arabe" qui empruntera ses éléments aux nations vaincues et sera réalisé par des maîtres d'œuvre formés sous l'influence de Byzance ou de Ctésiphon, mais présentera tout de même une originalité indéniable par le dosage et l'harmonisation des emprunts.

En gros, cet art prendra à la tradition byzantine la colonne et la voûte, ainsi que les placages de marbre et de mosaïque, avec un décor floral assez sobre, tandis que la Perse lui fournira surtout la coupole avec une faune et une flore ornementales plus riches. La synthèse des deux principales influences sera pleinement réalisée sous les Abbassides.

De très bonne heure, les Omayades construisirent dans les grandes villes de l'empire des mosquées dont le plan s'apparente à celui d'une basilique, avec une cour entourée d'un portique couvert. La salle de prière hypostyle (dont le plafond est soutenu par des colonnes), comporte une nef centrale qui aboutit au "mihrab" (niche creusée dans le mur indiquant la (qibla) ou direction de la Mecque) et au "Minbar" (chaire du prédicateur), des traverses en nombre variable étant disposées de part et d'autre, et une sorte d'enclos "maqsûra" étant réservé au souverain.

Sous l'influence de l'architecture chrétienne de Syrie, des minarets sont ajoutés au bâtiment principal et cet édifice en forme de tour quadrangulaire, polygonale ou circulaire, deviendra par la suite un élément constitutif de la mosquée.

La grande mosquée de Damas (706), édifiée sur l'emplacement d'une basilique qui avait été rasée (basilique elle-même édifiée sur l'emplacement d'un temple araméen consacré au dieu syrien Hadad puis au dieu romain Jupiter), servit de prototype à un nombre assez considérable d'édifices religieux construits dans les premiers siècles de l'Islam.

Cette mosquée ainsi que celle édifiée à la même époque à Jérusalem (mosquée al-Aksa), restent jusqu'à ce jour l'exemple parfait de l'architecture religieuse Omayade de Syrie.

Le règne des Omayades en Syrie prit fin en 750 vaincus par les Abbasides, qui bâtirent leur capitale Bagdad en Iraq. Ils haïssaient les Omayades d'une haine inexpiable, massacrèrent la plupart des membres de la famille Omayade et laissèrent la Syrie aller vers un déclin lent et inexorable  qui dura plusieurs siècles et ne prit fin qu'au début du XXe siècle, où une période nouvelle de l'histoire commença.

Toutefois la civilisation Omayade de Syrie renaîtra en Espagne (Al-Andalous) en 756 où elle brillera de nouveau pendant sept siècles d'un éclat incomparable, éclairant l'Europe médiévale par le prestige de son art, de sa pensée et son savoir. Son influence fut déterminante dans la Renaissance européenne du XVe siècle.

 

Epilogue

Avant 332 av. J.C., la décadence de l'Egypte et la ruine momentanée de l'Assyrie avaient donné quelques siècles de répit à la Syrie, dont la possession était toujours indispensable et nécessaire aux empires qui se succédaient à ses frontières. Libre pour un temps, la Syrie avait usé de son indépendance pour se déchirer par des rivalités de ville en ville, surtout entre Damas, Hamath, Tyr, Jérusalem, et Gaza.

Le jour où des envahisseurs allaient paraître, ils ne trouveraient que des états faibles et divisés, un pays ruiné. Les rois qui se partageaient le territoire profitaient de ces périodes de répit pour donner libre cours à leurs haines et non pour unir leurs forces contre l'étranger. L'intérêt personnel et la peur du risque à courir ruinèrent toujours les efforts des souverains désireux de sauver l'indépendance du pays. Ainsi, en plus des malheurs venant de l'extérieur, la Syrie trouva en elle-même de multiples causes de faiblesse.

L'aspect particulier de la Syrie vient d'avoir été pendant des siècles le point de passage obligé entre des pays de richesses et de civilisations diverses. Le pays, favorisé par le climat, eut une population relativement dense. Situé au carrefour des grandes voies commerciales, il put s'enrichir sans effort particulier, et connut la civilisation dès la plus haute antiquité. Cet aspect favorisé par les dieux, lui valut le triste sort d'être convoité et asservi par les envahisseurs voisins, qui ne laissaient souvent derrière eux que ruine et désolation.

La Syrie, malgré tous ses malheurs, avait réussi à briller par sa civilisation quand florissait chez elle la culture gréco-romaine et l'éclat prestigieux des Ommeyades. Elle donna à Rome et au monde une partie non négligeable de culture, de savoir, et de civilisation qui font toujours partie du patrimoine mondial.

Sa contribution à la diffusion de l'Hellénisme ainsi qu'à la grandeur de Rome fut importante, et porta sur différents domaines : religieux, politique, artistique et culturel. En effet les dieux et les religions sacrés de l'Orient ont égalé puis dominé celles de l'Occident.

En politique, les systèmes autoritaires et absolus de l'Orient ont prévalu sur tous les systèmes gréco-romains en vigueur en Occident, à commencer par Alexandre le grec, élève d'Aristote qui avait adopté les mœurs politiques et sociales des rois de Perses, jusqu'au romain Octave qui après sa victoire sur Antoine, prend le titre d'Auguste et gouverne seul l'empire. A sa mort, il sera honoré comme un dieu. Empereurs, généraux et gouverneurs de l'empire romain furent souvent originaires de Syrie. Nous avons vu aussi dans les chapitres précédents que des décisions capitales concernant la politique des empires séleucide, romain et byzantin furent influencées par les événements en Syrie, et que durant cette époque trois femmes exceptionnelles gouvernèrent des empires, elles s'appelèrent Cléopatre, Zénobie, et Théodora. Leurs capitales fûrent Alexandrie, Palmyre, et Constantinople. Deux autres femmes originaires d'Emèse (Homs) en Syrie: Julia Domna et sa nièce Julia Moesa, eurent a Rome une influence politique considérable sous le règne des Sévères.

Un nombre impressionnant de philosophes, juristes, architectes, savants, poètes, artistes et artisans, originaires de Syrie, ont contribué largement à l'éclat de la civilisation gréco-romaine : P. Hitti : "History of Syria"

Le commerce, source principale de profit en Syrie, fût majoritairement entre les mains des commerçants Syriens dès le 1er siècle de notre ère. Leurs caravanes et leurs navires ont sillonnés toutes les routes du monde connu, et diffusé la civilisation gréco-romaine parmi les peuples.

Enfin, événement capital dans l'histoire du monde, une religion nouvelle prêchée au Ier siècle de notre ère en Palestine par Jésus à l'époque de l'empereur romain Tibère, et dont l'impulsion décisive vint de l'apôtre Paul après sa conversion à Damas. Ce fut à Antioche que ses adeptes se donnèrent le nom de chrétiens.

Le XXIe siècle ouvre une nouvelle période de l'histoire. Le début de ce siècle a été malheureusement marqué par une tragédie, celle du 11 sept. 2001, dont les effets néfastes ont et ne cesseront d'avoir sur de longues années, des retombées aux résultats incalculables sur l'ensemble du monde.

On a parlé de choc des civilisations, des foyers de guerre religieuse se rallument, et de nouveau une marée mystique risque peut-être de submerger le matérialisme de l'Occident. L'avenir est imprévisible mais on peut espérer que le bon sens aura le dessus.

Durant des siècles, la Syrie a brillé par sa civilisation. La paix et la sécurité lui ont toujours apporté richesse et bien être, la guerre et les intérêts personnels ruine et misère.

Il n'est pas possible de connaître l'avenir, mais il est peut-être possible d'espérer que la mémoire collective de l'histoire, et celle de la Syrie en particulier puissent aider les Syriens à reprendre un jour parmi les peuples, le rang que leur histoire et leur culture permet d'espérer.

 

Damas, le 31 Mai þ2005þ

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[26].   Général byzsantin (m. 565).

 

 

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